Le monde carcéral et les médias ont une relation antithétique quant à l'accès des individus à l'information, l’un par son droit à la punition, coupe les individus du monde extérieur et l’autre accède à l’information, la fabrique. Chacun voit en l’autre une menace pour l’épanouissement et le respect des intérêts respectifs.
Les médias occupent une place importante et croissante de notre quotidien, mais quelle est la place des média pour ceux qui sont privé de liberté, ceux qui ne peuvent plus communiquer sans un porte-parole et sans que leur voix ne soit altérée ?
La relation média-justice peut intervenir à trois moments :
- Avant et pendant le jugement, où le rapport journaliste – magistrat (et journaliste – enquêteur) doit être en toute logique objectif et pragmatique. En effet si les principes de la présomption d’innocence ne sont pas respectés la sensibilité du média peut influencer l’opinion publique.
- Pendant l’incarcération, avec une surmédiatisation de faits divers intra-muros qui peuvent déformer la réalité carcérale.
- Les outils médiatiques disponibles à l’intérieur des prisons (distribution de journaux, Tv, Radio, cantine exceptionnel d’un ordinateur et accès à Internet). Si ces outils ne permettent pas à eux seuls une (ré)insertion optimisée, ils aident à travailler sur le fond de l’homme, et évitent une désocialisation avancée.)
Un couple naturel
Comme tous les couples qui durent, il y a des hauts, mais aussi des bas. Monsieur média et Madame justice vivent ensemble depuis des siècles. Les grandes affaires des dernières décennies (Villemin, Papon, Ordre du Temple Solaire ou plus récemment Mérah) sont la preuve que cette relation est voulue et forcée, au point d’en faire une alchimie hasardeuse. Cette union est accentuée par l’évolution de ces métiers :
- Le journalisme qui se veut de plus en plus d’investigation, il interagit avec le monde judiciaire ;
- Et, la justice qui ne se cache plus d’utiliser les médias comme stratégie de communication en vue de montrer ses idées, son dynamisme et ses solutions apportées.
Une telle mutation ne peut pas s’opérer sans une dégradation des liens entre le monde carcéral et médiatique. L’indépendance réclamée par chacun, les différences d’objectifs, la rivalité pour la mutualisation des informations (parfois limitée), sont autant de problèmes que la justice est le plus souvent la seule à décrier.
Les plus importants d’entre eux, sont le manque d’objectivité du journaliste, qui par sa vision peut accompagner une idée plus qu’une autre, mais aussi les informations altérées ou tendancieuses voire même inventées qui sont contre la nature de la présomption d’innocence. Le temps, lui aussi, joue son fauteur de trouble ; le journalisme a besoin d’exclusivité et d’immédiateté alors que le magistrat, l’avocat sont des hommes de réflexion.
Les fantasmes carcéraux.
C’est avec une maîtrise de la censure donnée par arrêté au chef d’établissement, arrêt qui n’eut que pour conséquence d’enflammer les esprits, que l’imagination des médias au sujet de la détention s’est développée. Cette idée va s’accentuer avec (par exemple) l’obtention par les personnes emprisonnées, d’outils médiatico-communicants non autorisés en prison. En effet lorsqu’une personne incarcérée publie une vidéo réalisée avec son smartphone à l’intérieur de sa cellule, l’imaginaire collectif veut que l’ensemble des détenus possèdent un téléphone et communiquent de différentes manières avec l’extérieur. Les médias utilisent le fait que le détenu tutoie les marges du règlement et que l’administration pénitentiaire n’ait pas les outils nécessaires à éradiquer ces phénomènes. De la violence intérieure à la sexualité en passant par une politique parallèle menée par des groupes opposés de détenus, les médias aiment susciter l’idée que l’administration pénitentiaire n’ait pas la main sur ses lieux.
Pour plus de clarté et afin d’en savoir plus sur ces établissements hermétiques, deux solutions se proposent :
- Plus d’accès aux journalistes, au risque de dupliquer la relation magistrats/média vers la relation prison/médias dans quelques années
- Plus de crédits aux (ex)détenu(e)s en mettant à disposition des outils de communication adaptés.
A mon sens, afin de faire respecter l’universalité des droits, plus d’information doivent sortir de ces établissements. La transparence avec ce qu’on appelle aujourd’hui « l’école de la récidive » doit être faite. Je me souviens du film « le déménagement », réalisé par Catherine Rechard, censuré pendant des mois et qui a pu être diffusé à la suite de longues batailles administrative et juridique.
Un emplâtre sur une jambe de bois
Cette mise à l’écart du monde est contraire à l’idée première de la prison qui est, certes de faire pénitence, mais aussi de préparer à l’avenir. Il existe des pays comme le Brésil où des remises de peine peuvent être accordées au détenu en raison de son attrait pour la lecture et l'actualité. Si la France innove en matière de sûreté « à l’intérieur des murs » ce "catéchisme de la sécurité" peut entraîner les plus graves conséquences et avoir même l’effet inverse de celui recherché. Le refus de l’évolution des prisons est contre-productif. Les prisons françaises doivent d’être visionnaires en la matière, la nécessité d’investir sur l’homme plus que sur les murs est urgente. Le futur de ces femmes et des ces hommes, mais aussi de potentielles nouvelles victimes en dépend (relation Correctif / Curatif).
Une récente étude (février 2013) menée sur Twitter, auprès de 308 personnes montre bien le poids des médias dans l’inconscient collectif au sujet de la détention. En effet, plus une activité proposée au détenu lui permet de se reconnecter à la vie sociale, moins elle est acceptée par la personne sondée, ce qui traduit un rejet social massif des personnes qui ont commis des crimes ou des délits.
On remarque aussi, que les sondés ont une vision déformée de nos prisons. Ils voient peu d’établissements en France pour un nombre démesuré de détenus.
Les suicides, en constante augmentation depuis les années 80, (de 39 à 110 par an) sont aussi une preuve que nos détenus ont besoin qu’une communication différente à leur sujet. (pour info : 15 suicides en prison depuis le 1er janvier 2013)
En ne communiquant pas ou peu sur le Centre de détention de Casabianda les médias contribuent à la désinformation socio-culturelle du sujet carcéral.
Contrairement à ce qui a été véhiculé, c’est la France qui a inspiré les pays nord Européens de l’utilité des prisons dites « ouvertes ». Avant tous les autres pays de l’Union, L’administration pénitentiaire française a mis au point un établissement unique sur le territoire (encore de nos jours), à 70 kilomètres au sud de Bastia. La seule prison d’Europe à ciel ouvert. Un centre pénitentiaire en bord de plage, sans miradors ni murs d'enceinte, sur 1 400 hectares de prairies et de forêts d'eucalyptus, coupés en deux par la N198. Des détenus disputent une partie de tennis sur l'un des deux courts de la prison. Ici, on peut faire de la planche à voile, du VTT et même du golf.
E.Zola nous disait : «Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons». Il est à mon sens nécessaire et urgent d’arrêter de se demander « Qui a fait mentir Zola ? » mais d’agir.
Fethi ZEDDOUN Twitter : @VivreSaPrison ,merci à Alix HUGONNIER @ShAhEMH